Entretien avec Dr Matshidiso Moeti directrice OMS Afrique

Entretien avec Dr Matshidiso Moeti directrice OMS Afrique

Dr Matshidiso Moeti

Dans cet entretien le Dr Matshidiso Moeti nous parle de la riposte au Covid-19 mise en place par l’OMS.

Le Dr Matshidiso Moeti, directrice de l’OMS pour l’Afrique, n’est pas du genre à détourner les yeux face à la réalité. Cela fait plus de vingt ans qu’elle a les mains dans le cambouis. VIH-sida, Ebola, et à présent, le Covid-19. Et ces derniers jours, c’est une poussée de la pandémie sur le continent africain, dont les systèmes de santé manquent cruellement de moyens qu’elle redoute. Avec plus de 6 125 cas de Covid-19 confirmés et 240 décès au 6 avril dans 44 pays couverts, les infections se propagent de plus en plus non seulement entre les États africains, mais aussi dans plusieurs localités. Entre les conférences virtuelles, les sessions de formation qui s’enchaînent, les contacts avec les médias, les appels passés au personnel soignant, la Botswanaise sait qu’il faut aller vite si le continent africain veut éviter le pire. Depuis Brazzaville, au Congo, elle s’est confiée au Point Afrique.

Le Point Afrique : Certains experts soutiennent que la jeunesse du continent explique en partie le faible nombre de cas. Pouvez-vous l’attester ?

Matshidiso Moeti : D’après ce que nous observons sur le continent, et nos données le démontrent, les jeunes sont bel et bien infectés par le Covid-19. Il est vrai que les informations provenant de la Chine et d’autres pays ont montré des taux d’infection plus élevés et des symptômes plus graves chez les personnes de plus de 60 ans. En Afrique subsaharienne, la dynamique de la population peut faire penser que le continent sera épargné. Mais la prévalence des affections telles que le VIH, la tuberculose et la malnutrition est élevée, et nous avons vu que les personnes atteintes de comorbidité s’en sortent beaucoup moins bien. Il faut donc rester vigilant. Face au Covid-19, il n’y a pas d’acquis.

Comment voyez-vous la situation évoluer pour l’Afrique dans les semaines à venir ?

Cette épidémie évolue rapidement. Il y a cinq semaines, dans la région africaine de l’OMS (qui est principalement l’Afrique subsaharienne et l’Algérie), seule l’Algérie avait des cas confirmés. Aujourd’hui, il y a plus de 6 000 cas dans 41 pays.

Nous avons vu l’escalade dramatique de cas dans d’autres parties du monde et nous devons donc nous préparer au pire. Cette pandémie a submergé les systèmes de santé des pays du Nord. Et nous savons que les systèmes sanitaires du continent sont moins bien équipés pour gérer un pic de cas, notamment les plus graves.
Néanmoins, nous constatons une action rapide et proactive de la part des gouvernements, y compris des approches panafricaines, des fermetures de frontières et des mesures de distanciation sociale. Dans la moitié des pays touchés, il y a moins de 100 cas confirmés. Nous avons maintenant besoin d’accélérer sur les mesures de santé publique – sur le dépistage des cas, l’isolement, et la recherche des contacts. Nous avons une fenêtre d’opportunité très étroite pour renverser la situation.

Que pensez-vous des mesures prises dans les différents pays ?

Il faut savoir que, dans nos sociétés, la distanciation sociale est très difficile à faire respecter. Car une fois que vous avez invité les populations à rester chez elles, eh bien, le problème n’est pas pour autant réglé puisque les gens vivent dans des conditions de surpeuplement, ils vivent dans des cours communes, partagent parfois une seule et même pièce. Il y a aussi l’aspect économique, beaucoup de familles travaillent dans l’informel et gagnent leur vie au jour le jour.

Des mesures ont-elles été mises en place pour garantir que les gens ont accès à la nourriture et aux autres nécessités pendant le confinement ?

Les gouvernements devraient avoir une analyse très attentive et réfléchie des mesures d’atténuation nécessaires pour s’assurer que les gens ne souffrent pas indûment.
Nous devons également surveiller, du point de vue de la santé publique, si les mesures nécessaires pour arrêter la propagation du virus sont mises en œuvre dans ces conditions. Dans certains pays, l’armée est envoyée pour s’assurer que les gens respectent ces mesures temporaires. Mais les gouvernements doivent comprendre que décréter le confinement va bien au-delà de ces seules préoccupations, il doit avoir une approche globale. L’OMS travaille en étroite collaboration avec les gouvernements nationaux et les partenaires des Nations unies, notamment le Programme alimentaire mondial (PAM), pour planifier ces besoins.

Que recommandez-vous à ces villes qui ne peuvent en pratique passer au confinement de leur population ?

Premièrement, nous recommandons d’accélérer dans la recherche des cas confirmés, ainsi que parmi les contacts de ces malades. Comme cela a été fait en Chine, il faut adapter le niveau de confinement en fonction de la gravité de l’épidémie. Les mesures les plus strictes ont surtout été prises à Wuhan, l’épicentre de la pandémie. Il faut une approche similaire dans certains pays africains. Par exemple, en République démocratique du Congo, la majorité des cas proviennent de la capitale, Kinshasa. Dans des cas où la transmission se produit en milieu urbain, nous préconisons le bouclage de zones spécifiques et la mise en place d’un contrôle d’entrée et de sortie qui peuvent aider à contenir l’épidémie.
L’un des enseignements qui se dégage des expériences de la Chine, de la Corée et de Singapour, c’est l’importance des communications fréquentes, factuelles et transparentes des autorités avec le public. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les gens ne veulent pas se mettre eux-mêmes ou les membres de leur famille en danger inutilement. Et nous constatons qu’ils sont prêts à prendre des précautions supplémentaires, y compris l’éloignement physique, pour protéger leur communauté.

Quelle est la stratégie de l’OMS pour l’Afrique ?

La stratégie de l’OMS pour l’Afrique est de contenir la flambée et, dans la mesure du possible, de prévenir les transmissions communautaires. Nous plaidons pour des approches intergouvernementales. Et cela est déjà mis en pratique, au Kenya et en Afrique du Sud, et dans d’autres pays.
Notre stratégie se concentre toujours sur les mesures de prévention connues de tous : se laver les mains, respecter la distance physique, l’isolement et les soins aux personnes malades, la recherche des contacts et l’auto-quarantaine de ceux qui sont en contact avec des cas.
Nous devons repenser certaines stratégies dans le contexte africain. La distanciation physique, telle que nous la recommandons à l’échelle mondiale, peut ne pas convenir dans des ménages où les membres de la famille partagent une chambre. Ni pour les travailleurs du secteur de l’informel qui dépendent des revenus quotidiens pour nourrir leur famille. Le lavage fréquent des mains est difficile dans les communautés qui n’ont pas accès à l’eau courante. Nous travaillons avec des partenaires pour relever ces défis et atténuer les impacts sociaux et économiques de cette pandémie.

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